Extrait de la publi­ca­tion We Will Survive

Préface de Anniina Koivu et Jolanthe Kugler

Être prêt, c’est être disposé à faire le néces­saire, c’est être paré lorsque quelque chose se produit. Quelque chose… c’est-à-dire une catas­trophe natu­relle, une urgence sani­taire, une guerre. Une personne est consi­dé­rée comme prête quand elle s’est prépa­rée à l’éven­tua­lité d’un désastre, quand elle a pris les mesures qui s’im­posent, ou quand elle peut les prendre. Pour un prep­per, se tenir prêt revêt une dimen­sion parti­cu­lière car il est convaincu qu’une catas­trophe va bien­tôt se produire. Il n’a aucun doute à ce sujet : notre monde est condamné, sa fin est immi­nente. Cepen­dant, loin de céder à la peur face à l’in­évi­table effon­dre­ment de tous nos systèmes et, par consé­quent, de la société, il adopte une stra­té­gie qui lui permet­tra de tenir le choc. En se prépa­rant à cette fin, il cherche à contrô­ler ­l’in­con­trô­lable. Il survi­vra.

L’ins­tinct de survie est ancré en nous depuis des millé­naires ; le prep­ping était essen­tiel à la survie. Au xxe siècle, ceux qui vivaient dans des socié­tés agraires savaient qu’il fallait être prêts en cas de coup dur, sinon les consé­quences pouvaient leur être fatales. Dans notre monde occi­den­tal, dans nos socié­tés indus­trielles et post-­indus­trielles, nous avons oublié ces réflexes. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous sommes persua­dés de toujours trou­ver ce dont nous avons besoin au super­mar­ché, d’être à l’abri de tous les désastres possibles, d’être proté­gés par l’État si une catas­trophe devait surve­nir. Ces certi­tudes se sont toute­fois érodées, parce qu’une peur crois­sante s’est immis­cée dans notre société et que la réac­tion de l’État au cours des récentes catas­trophes a déçu. Vien­dra-t-on à notre secours ? Et s’il se produi­sait un désastre si immense que l’exis­tence même de l’État serait mena­cée ? Ces craintes sont réelles ; elles mènent un nombre toujours plus grand de personnes à se char­ger elles-mêmes de leur prépa­ra­tion et à rejoindre le mouve­ment prep­per.

Aucune méthode univer­selle ne pour­rait parer à tous les désastres qui nous menacent, que ce soit la catas­trophe nucléaire, le chan­ge­ment clima­tique, la ruine écono­mique, les cybe­rat­taques, les troubles sociaux, l’im­pact d’un asté­roïde, les tempêtes solaires extrêmes, les pandé­mies, etc. Chaque nouvelle menace, réelle ou imagi­naire, a provoqué une nouvelle diver­si­fi­ca­tion des prep­pers. Des sous-cultures sont appa­rues, chacune avec ses propres stra­té­gies et sa propre philo­so­phie. Nous pouvons citer les retrea­ters, qui veulent deve­nir invi­sibles en s’ins­tal­lant dans des lieux secrets, proté­gés et bien appro­vi­sion­nés ; les homes­tea­ders, qui souhaitent avant tout déve­lop­per l’agri­cul­ture durable, l’au­to­no­mie éner­gé­tique et plus géné­ra­le­ment retrou­ver une vie plus simple ; les off-grids, dits « eco-prep­pers », qui se décon­nectent de toutes les infra­struc­tures modernes et renoncent à tous les conforts. D’autres recherchent plutôt la réac­ti­vité, dans la mesure où ils s’ef­forcent de se prépa­rer à toutes les éven­tua­li­tés afin de pouvoir y répondre. Les survi­va­listes appar­tiennent à ce groupe, parce qu’ils peuvent s’adap­ter rapi­de­ment à n’im­porte quelle situa­tion extrême : ce sont les héros comba­tifs de la télé­réa­lité et du cinéma. Les bush­craf­ters, quant à eux, sont des loups soli­taires, parfai­te­ment adap­tés à la vie au contact de la nature.

Compte tenu de la diver­sité du mouve­ment prep­per, il serait réduc­teur de vouloir présen­ter une vue d’en­semble, complète et unique. Nous avons donc préféré, dans cet ouvrage, propo­ser des essais qui décrivent divers aspects du mouve­ment. Ils donnent un aperçu des raisons, des moti­va­tions et des manières de penser qui expliquent la convic­tion des prep­pers, selon lesquels méfiance est mère de sûreté.

En quoi cela nous inté­resse-t-il ? Il serait facile de juger margi­nal le mouve­ment prep­per, de le reje­ter comme les idées de complo­tistes, mais il peut aussi être consi­déré comme une consé­quence de la moder­nité, tout en étant un moyen de comprendre celle-ci. C’est ce qu’af­firme le socio­logue améri­cain Richard Mitchell Jr après avoir consa­cré plus de douze années à l’étude des survi­va­listes[1]. Selon lui, le survi­va­lisme et le prep­ping sont des gestes poli­tiques et sociaux, qui remettent en cause l’uni­vers ratio­na­lisé du capi­ta­lisme global. La peur qu’ins­pire l’apo­ca­lypse aux prep­pers peut s’in­ter­pré­ter comme un diag­nos­tic des temps présents, une critique profonde et signi­fi­ca­tive de la société contem­po­raine. Leurs actions rendent visibles les craintes de la société, les lignes de faille qui la traversent. Au sein de la rumeur constante des opinions et des prophé­ties auto-réali­sa­trices, les inquié­tudes des prep­pers au sujet du monde d’aujour­d’hui et de demain s’avèrent très impor­tantes – et déran­geantes.